Même s’il est toujours un gamin de 10 ans, Titeuf fête ses 25 ans. Créé par l’auteur suisse Zep -Philippe Chapuis de son vrai nom-, il apparaît pour la première fois en 1992 dans les pages du fanzine Sauve qui peut. Remarqué par Jean-Claude Camano, éditeur chez Glénat, le personnage obtient son premier album en janvier 1993. Depuis le petit bonhomme à la mèche rebelle a fait son chemin. A l’instar d’Astérix, il est même devenu une des séries BD les plus vendues de par le monde.
Le public. Y pense-t-on quand on écrit ?
Ce n’est pas mon cas. Le public de Titeuf est très diversifié. Il y a des enfants, des adultes, des garçons, des filles, des hommes, des femmes… Même si je décidais de ne dessiner que pour les enfants de 9 ans 1/2, je ne pourrais pas cibler car il y a beaucoup de personnalités différentes. Si on montre un gag à 10 enfants nés le même jour, il y en a qui vont dire : « ah, c’est drôle ! », « ah, elle est nulle ! », « ah, c’est choquant ! »… Donc, je ne pense pas à ça ! Sinon, ça me ferait tourner la tête.
Lorsque j’écris pour Titeuf, je suis comme Spiderman. J’enfile le costume du personnage et je suis Titeuf. Je n’ai aucune barrière, aucun tabou, pas de censure. Titeuf a le droit de tout questionner, de réagir sur tous les sujets.
Les sources d’inspiration
Après 15 albums, je ne peux plus puiser dans mon vécu. Je choisis parfois des sujets qui m’ont touché en tant qu’adulte. Pendant 2 ans, j’ai abordé pas mal l’actualité sur mon blog. Et souvent, je me disais que ce serait marrant de reprendre les mêmes sujets dans Titeuf. Alors que j’avais une liberté totale sur le blog, je m’autocensurais par moment parce que j’estimais que, comme je n’étais un spécialiste du thème abordé, je n’avais pas la légitimité de tenir certains propos. J’avais peur d’avoir l’air d’un donneur de leçon. Avec Titeuf, ce n’est pas le cas. Il fait feu de tout bois. Il y a des choses anecdotiques et des grands sujets. Quand on est enfant, on ne le voit pas du tout comme ça. On peut devenir super-héros grâce au mercure qui coule dans une pile usagée, mais on peut aussi parler de la faim dans le monde ou du terrorisme. Il n’y a pas de thèmes primaires ou secondaires dans la tête du personnage.
Le fait d’avoir des enfants amène des idées. Des choses que je n’ai pas vécues moi-même. Mes enfants m’influencent forcément.
Parfois des associations me contactent pour que Titeuf soit ambassadeur pour des enfants handicapés ou pour faire de la prévention contre la pédophilie. Dans ce cas, je me documente, je rencontre des gens et cela donne naissance à une ou deux histoires.
Mais les trucs vraiment débiles viennent de moi. Parfois mes enfants en ont un peu honte : « Papa, c’est quoi cette histoire de péter dans les trous de nez ? » « Ben, c’est rigolo ! » « Non ! C’est dégueulasse ! ». Au final, ça les fait rire quand même.
L’amour
A 10 ans, l’amour est très conceptuel. Les enfants ont envie d’avoir un amoureux ou une amoureuse. Ils sont émus. Ils peuvent avoir le cœur qui bat. Mais finalement, ça sert un peu à rien l’amour. Donc ils préfèrent souvent être amoureux en pensant. Idéalement, Titeuf aimerait bien avoir une amoureuse qui lui dit : « Je suis ton amoureuse. » Qui lui met un petit mot qui atteste qu’elle est amoureuse… Mais lui, il n’a pas forcément envie de passer ses journées avec elle, de l’embrasser… Les enfants peuvent le faire pour imiter les grands. S’ils s’embrassent sur la bouche, ils s’essuient un peu après et ils sont tout contents: « J’ l’ai fait, j’ l’ai fait ! ». C’est pas un plaisir, c’est un défi ! Ils jouent à être des grands.
Titeuf avait envie d’avoir une amoureuse et il avait décidé que ce serait Nadia. Mais elle ne le voit même pas ! Elle n’en est pas amoureuse du tout ! Il l’énerve ! Beaucoup de mes jeunes lecteurs étaient déçus que ça ne marche jamais avec les filles pour lui. Donc, j’ai amené une nouvelle amoureuse, une fille qui, pour une fois, va avoir un intérêt pour Titeuf. Ramatou est gentille, le regarde, le trouve mignon. Ça le fait chavirer. Du coup, cela me permet de montrer autre chose que la guerre entre les filles et les garçons.
Pourquoi Titeuf ne va pas en vacances en Espagne
Quand Titeuf prend en vacances, il ne part pas à la montagne ou à la mer, il va à la campagne. La série est traduite en 45 langues. Donc, c’est un peu compliqué. Car si, par exemple, je dis qu’il part en vacances en Espagne, les Espagnols ne vont pas trouver ça dépaysant parce que pour eux, il est tout le temps en Espagne. (Rires)
Il est déjà parti à la mer avec ses parents. C’est arrivé 2 ou 3 fois. Mais le problème vient surtout des rapports avec ses copains. Ça peut être drôle une ou deux pages quand il est avec ses parents ou quand il se fait un nouveau copain. Mais s’il se fait de nouveaux amis sur place, finalement, je dois recréer un peu l’univers qu’il a à la maison. En tant que lecteur, on a plus envie de voir Manu, ou un autre pote qu’on connaît, dans ces situations, plutôt que de changer tout, les noms, les têtes… J’ai essayé de dessiner une histoire où il partait ailleurs, mais après une ou deux pages, j’ai renoncé. Ça m’ennuie.
La sélection des gags
Les gags sont testés à 2 : il y a d’abord moi, bien sûr, et mon éditeur et agent, Jean-Claude Camano. Je lui envoie mes gags et il me donne son avis : « oui, non, non, non, oui, non, non, non »…
Son opinion est importante car il voit des choses que je ne vois pas. Et puis, le temps lui donne souvent raison. Si on n’est pas d’accord sur un gag, d’abord, je me révolte : « Mais pourquoi ? ». Lui : « Elle est nulle cette histoire ! ». « Mais non, elle est formidable ! » « Elle est nulle ! ». Puis, j’insiste, je change un truc : « Ça ne marche toujours pas ! ». J’ai parfois réalisé 10, voire 20, versions différentes. Mais si finalement ça passe, c’est que c’est réellement bon. Parfois je retombe sur des story-boards que j’ai écartés et je me dis qu’il avait raison. Je me faisais plaisir en tant que dessinateur, mais le propos n’était pas assez intéressant. Ceci dit, parfois quand je résiste et que je dessine tout de même le gag, il admet par après que j’avais raison. Il y a un équilibre entre nous. Si on n’est pas du tout d’accord, c’est ma femme qui arbitre. Je lui fais lire et elle me dit: « Jean-Claude a raison » et là notre soirée est totalement foutue ! Je lui adresse pas la parole de toute la soirée. Vexé comme un fou ! (Rires)
La construction d’un album
Lorsque je travaille sur un album de Titeuf, je n’ai pas réellement de phase préférée. J’aime bien toutes les étapes de la création. Mais elles me fatiguent toutes au bout d’un moment. L’avantage avec les gags, c’est que j’alterne le story-board, le crayonné, le dessin et, avant, aussi la mise en couleur. Quand j’en ai marre de dessiner la classe de Titeuf, je planche sur une page plus imaginaire. J’apprécie de pouvoir passer aisément d’une phase à l’autre, d’un décor à l’autre. Sinon, je me lasse vite.
Les récits plus réalistes me permettent de raconter d’autres choses, de dessiner d’autres univers. Cela nourrit mon dessin. Une histoire comme Un bruit étrange et beau (avec le moine) nourrit le Titeuf qui suit.
très bel entretien avec ZEP, félicitation à vous, on en apprend toujours sur Titeuf. Je voulais poser une question à Zep, étant en Suisse, je ne l’ai jamais vu en dédicaces ici en Belgique. J’habite la région liégeoise, fiefs de grands dessinateurs mais Zep reste un personnage que l’on ne voit pas souvent par ici. Alors pensez vous venir à Liège pour faire des dédicaces ou est il possible d’en obtenir une pour ma fille via ce site ?